Lectures Réelles

Dominique  Aubier

La connaissance de l’Universel

Lectures Réelles

Par Michel Zebracki

guitariste, compositeur, arrangeur

Il existe différentes manières de lire, mais il n’en est qu’une, à mes yeux, qui soit efficace : celle où l’écriture se poursuit dans la vie, continuant de la construire, et la corrigeant. Un bon livre est ainsi celui qui ajuste le point de vue du lecteur. C’est le cas de La Face cachée du Cerveau, de Dominique AUBIER.

Cet ouvrage s’appuie, d’une part, sur les découvertes les plus récentes de la science, d’autre part sur les données des sagesses traditionnelles. L’auteure obtient, de cette rencontre des deux modalités réflexives, l’une rationnelle, l’autre symbolique, une vision d’ensemble du réel tout à fait nouvelle. Apparaissent au grand jour les archétypes, ces unités abstraites de base, immuables et présentes en toutes choses. Ces archétypes, on peut les observer dans la structure même du cerveau humain, formé de deux hémisphères, le gauche et le droit, dont les rôles ne se superposent pas. Cette dualité est archétypale, présente dans tout cycle évolutif, qu’il s’agisse d’une civilisation ou du vécu d’un individu. Une autre constante ou unité abstraite, appelée Union des Contraires, consiste à dépasser l’opposition et la dualité.

L’occasion de réaliser cette union se présente toujours en fin de cycle, c’est alors l’opportunité d’aboutir à un élément neuf, composé de l’énergie des deux anciens. Ce nouvel élément sera forcément supérieur en qualité à ceux qui le composent, étant donné que les faiblesses de l’un sont dues à l’absence de la force caractéristique de l’autre. L’unité ainsi obtenue devient la graine fondatrice d’un cycle à venir, héritier de cette union heureuse.

J’ai cherché à repérer l’archétype de la Dualité dans la matière culturelle qui m’entoure : étant guitariste, c’est dans l’exercice de la musique que j’ai détecté l’archétype. L’histoire du jazz permet de relever deux sortes d’approches relativement antagonistes chez les instrumentistes de cette tradition. On parle, dans ce milieu, des guitaristes de la main droite et de ceux de la main gauche. Le style des premiers découle d’une technique très sûre du poignet dextre, jouant staccato, c’est-à-dire attaquant chaque note. Pendant ce temps-là, sur le manche, les doigts obéissent admirablement et ne s’autorisent que très peu d’ornements, tels le vibrato ou le glissando. Il en découle un jeu autoritaire et sobre, allant droit à l’essentiel, pensons au jeu de Django Reinhart.
A l’opposé, nous trouvons des artistes dont le style est plus souple, plus détendu, plus legato (cool, frais). Moins de notes et plus de broderies, chaque son étant traité soigneusement, embelli d’une multitude d’effets colorés et fantasques. La main gauche, toujours plus avide, y cherche sans cesse de nouveaux parcours, ce qui apporte une grande originalité harmonique. Jim Hall et Jimi Raney sont des pionniers de cette approche. Pat Metheny, John Scofield la perpétuent, tous partisans d’un jeu voilé, assez féminin, en comparaison avec celui de Django, nettement plus viril.

La Dualité, une fois repérée, la vie n’a pas tardé à me donner l’occasion de vérifier l’infaillibilité de la méthode concernant l’Union de Contraires : je suis arrivé à un tournant de mon évolution musicale. Soudain, un mur a barré ma progression jusqu’ici linéaire. Adepte inconditionnel de l’esthétique sénestre, évitant soigneusement de frôler de trop près l’approche opposée, j’ai ressenti avec urgence la nécessité de changer de cap. Après avoir étudié la situation en regardant ce qu’elle pouvait avoir d’archétypale, j’ai dirigé mon attention sur le style droitier : il me fallait partir en face, affermir la technique de ma main droite et donc calmer les envolées de l’autre. Sacrifier l’entropie harmonique afin de rééquilibrer l’ensemble. Tout chavirer. Alors, pas à pas, en modifiant la manière de tenir le médiator, en commençant par attaquer toutes les notes, en réduisant le nombre des notes extérieures aux gammes naturelles, quittant l’ancien avant d’arriver au promis, j’ai obtenu un jeu nouveau.

Finalement, le côté gauche n’a pas perdu beaucoup, si ce n’est sa souveraineté. Il a surtout retrouvé un partenaire à sa hauteur, responsable du sens et de la signification. L’un s’enracine dans l’autre et donne accès d’énergie. Ce qui commençait à manquer dans le régime d’antan.

J’ai lu d’autres livres de Dominique AUBIER. Ils ont tous la faculté de pénétrer notre existence. Car derrière leurs sujets apparaît clairement — tel est d’ailleurs le souci de l’auteure — l’ossature universelle et unique qui structure tout événement, toute histoire. Qu’un ouvrage décrive le cerveau humain, qu’il conte de quelle manière s’est construit le Cosmos ou qu’il y soit question du T’chan et du Zen, on remplace le héros par ses proches, l’histoire par son propre vécu, et toute affaire se dévoile, non plus comme une banalité incompréhensible, mais comme une pièce nécessaire à un ensemble parfaitement intelligible.

La lecture n’est plus synonyme de distraction. On apprend à lire sa vie.

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1 Commentaire

  1. Michaut François-Marie (Exmed)

    La guitare, emblème majeur des sons nés en Espagne, cela donne doublement voix au chapitre ici. Bravo Maestro !
    Tout à fait d’accord sur la vraie fonction de la lecture. Comme celle d’une partition se transformant en un voyage au pays de la musique. La lecture documentaire, savante ou de distraction, ce ne sont que des outils.
    Petit bémol ( je pouvais pas rater l’expression ici). Dominique Aubier a été une courageuse et brillante exploratrice autodidacte de la science la plus classique au moment où elle a écrit ses livres. C’était très risqué et elle a parfaitement réussi, sinon elle se serait fait descendre en flamme par la cité scientifique.
    Depuis, les sciences ont poursuivi selon leurs méthodes leurs travaux. Il ne me semble pas juste de parler des “découvertes les plus récentes”, ce sont, c’est déjà énorme, les plus solidement fondées à la fin du XXème siècle !
    J ‘attend avec plaisir votre prochaine intervention, et je suis toute ouïe dans mon fauteuil d’orchestre, Michel Zebracki

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