Quand le sacré fait du cinéma de Monsieur Klein à Pi 3,14

Dominique  Aubier

La connaissance de l’Universel

 Quand le sacré fait du cinéma de Monsieur Klein à Pi 3,14

Merci d’avoir pris soin de mes états d’esprit tout autant que de mon tonus énergétique, mon cher Patrick Bosché. Votre ordonnance a été suivie à la seconde près. A peine aviez-vous repris votre voiture que la cassette Pi passait à l’écran sur notre télévision qui ne s’en est pas encore remise. Bousculer si fort ses sensibleries ! Il a fallu la convaincre que le film de Darren Aronofsky méritait d’être vu puisqu’il a remporté le prix de la mise en scène au festival Sondance de 1998. Et lui répéter que, de l’avis du journal le Monde, c’était le premier film le plus étonnant que le cinéma américain nous ait livré depuis Eraserhead de David Lynch. Formulation étrange ou bien maladroite. Je ne me suis pas attardée sur son anomalie. De toutes façons, je ne crois qu’à ma propre lecture de ce thriller fondé sur le pouvoir des mathématiques à pénétrer les mystères de l’Univers.

Pi – et décimales à l’infini sans qu’il y ait cycle repérable dans leur suite – est un chiffre dit transcendant. Qu’il serve de titre et d’emblème à ce film suffit à notifier le niveau culminant du problème qui s’y trouve soulevé. Audacieux scénario ! Il donne du corps et du drame à deux critères que l’on ne s’attend guère à voir jouer la comédie : l’état actuel de la pensée kabbalistique dans le judaïsme new-yorkais et la recherche scientifique visant à identifier le secret de l’Univers par l’entremise des calculs. Les deux fiefs culturels sont placés côte à côte, en légère compétition. Chacun d’eux a son héros : Max Cohen pour la recherche rationnelle, Lenni Mayer pour la doctrine biblique. Les deux hommes sont juifs. Transcendance oblige ! Le sublime est donc acteur sur le plateau. Où voit-on son fantôme dans cette histoire ?

Ajustons nos bésicles !

Le mathématicien se trouve au maximum des possibilités d’investigation offertes par sa discipline. Son prénom l’indique : Max. Son patronyme Cohen désignerait en hébreu le prêtre, le serviteur de Dieu, celui dont les actions réfèrent au sacerdoce. Mais ce n’est pas dans le camp du Sacré que se situent ses travaux. S’il est pontife, c’est au sein de la cité scientifique. Ses calculs portent sur le secret de l’Univers et visent à en singulariser la formule. Rationaliste irréprochable, il est en phase avec la mouvance la plus avancée qui soit, au sein de la science théorique. Les ultimes percées du Savoir tendent, en effet, à définir le principe d’Unité et si cette formule était trouvée, elle rendrait justice à l’Univers. De plus, c’est bien dans le secteur des mathématiques que se déploie l’ambition d’atteindre à cette conclusion. Et ce langage est le fort de Max Cohen. C’est faire preuve de réalisme culturel que croire à son effort et à la légitimité de sa technique pour parvenir à son but.

Le spectateur ne peut pas vérifier le bien fondé de sa position intellectuelle. Il lui faudrait devenir spécialiste des équations qui permettent ce type de spéculation. L’écran ne les donne pas à lire. Mais le film nous apprend que Max Cohen a écrit plusieurs livres et s’est rendu célèbre comme chercheur sur le point de trouver ce qui serait pour le Rationalisme le grand exploit. Le mouton à cinq pattes. Comparez avec ce qu’annonce en son numéro de janvier 2003, le mensuel N° 360 de La Recherche, la revue de l’actualité des sciences : Des chercheurs de haut niveau pensent que la matière, la lumière, l’énergie, la vie, le temps sont gouvernés par un programme unique. Max Cohen se propose de le déterminer. Il est un personnage parfaitement crédible. Nous ne sommes pas en face d’un film de science-fiction.

Il est important de le préciser car l’histoire racontée est effrayante. Elle pourrait apparaître comme le cauchemar d’un artiste là où elle demande à être reçue comme le message le plus pertinent que la conscience humaine soit invitée à enregistrer, dans l’actualité. D’ailleurs, ce film est perçu comme un tourment par toute une génération de jeunes gens ayant plus ou moins la trentaine. Ils se demandent avec angoisse quelle est sa leçon. Ses images ont une puissance d’allusion très forte. Il faut en faire l’exégèse si l’on veut les tirer du mutisme qui les brime. Elles ne déclarent pas en paroles immédiatement intelligibles ce qu’elles transmettent dans le noir et blanc de leur grand style.

De gros plans répétitifs montrent notre Max Cohen derrière sa porte blindée, fermée à triple tour, épiant l’extérieur par le cercle étroit d’un judas. Ce guichet symbolise-t-il l’ouverture d’esprit que confèrent les maths ? L’image incite à le soupçonner. Le grand langage des sciences exactes ne libérerait qu’une vue partielle et entubée de la réalité. Lorsqu’il met son œil au cercle de vision qui figure ce panorama limité, Max Cohen voit, en face de lui, la partie d’un escalier qui descend du palier au couloir conduisant à la sortie. Équation visuelle de sa situation au sein de la démarche scientifique de pointe. Il lui faut descendre encore quelques marches pour trouver l’issue. A gauche, une rampe à peine visible monte à l’étage au-dessus. Certes. Tout chercheur sait qu’il occupe un palier du savoir et qu’il y a toujours plus à découvrir. Eh bien, nous allons découvrir aussi ce que l’auteur du film a voulu dire au sujet de ces problèmes. Notification nettement signifiée. Il se pourrait que le scénario suggère des choses que les équations n’atteignent pas. N’en ratons pas une image !

De la réalité qui est le lot de l’humanité et de la vie quotidienne, Max Cohen voit le sourire délicieux d’une jeune femme hindoue, sa voisine, une fillette chinoise qui lui pose des colles de calcul mental en lorgnant les résultats sur son ordinateur de poche, la grosse concierge qu’il exaspère, les spéculateurs cherchant à lui extorquer ses trouvailles parce qu’elles leur permettraient de contrôler le marché des changes et qu’il refuse de recevoir. Dès le début du film, une séquence rapide – qui n’appartient pas à son album personnel – montre un groupe d’hommes et de femmes pratiquant le Tai Chi. Souci d’évoquer la mondialisation en son instance culturelle assimilant exotisme et tourisme ? Manière aimable de cravater l’universel ? Ce pourrait être une façon de spécifier le défi civilisateur que le Temps vient de mettre à l’ordre du jour. Retrouver le paradis perdu. S’il fallait réunir les valeurs culturelles susceptibles d’œuvrer à l’établissement d’une nouvelle sagesse, nul doute. L’Orient taoïste aurait sa part de richesse à offrir, aux côtés d’un Judaïsme religieux qui se veut d’emblée l’interlocuteur actif du matheux. Juif lui aussi, feutre en permanence cloué sur le crâne, un certain Lenni Mayer se déclare son partenaire idéal. Le placement est net : la Connaissance biblique, sous son aspect kabbalistique, doit et peut dialoguer avec le Savoir objectif et son langage, les maths. Les deux forces sont mises en chicane, au sens de passage en zig zag qu’on est contraint d’emprunter. Un parallélisme soutient l’entreprise. Les deux juifs sont l’un et l’autre des mathématiciens. Le kabbaliste pratique la numérologie propre à la langue hébraïque. Il faut croire que cette science des nombres est considérée comme valable. L’écran docile montre en quoi consiste sa sagacité. Adhérer à la réalité.

Trois mots hébreux en fournissent la preuve. Ab, le père, (Alef-1, Beit-2) vaut 3. Em, la mère, (Alef -1, Mem-40) vaut 41. Fruit de leur union, l’enfant qui vient de naître Yeled, (Yod-10, Lamed-30 et Daleth-4) vaut 44, addition des sommes guématriques issues des mots père et mère. A ce chiffre s’arrête la leçon du personnage. Pourquoi ne pas continuer ?

Un autre mot, en hébreu, arbore aussi la valeur 44. C’est Dam, le sang qui se transloque en Mad, valant également 44, et qui désigne le vêtement, la tunique qui recouvre le corps, possiblement aussi l’état d’esprit extérieur qui accompagne le sang intérieur. Il y a du dedans dehors dans le rapport Dam-Mad connoté 44.
Malheureusement, c’est moi, Dominique Aubier, qui ajoute ces notions à un scénario qui ne les mentionne pas. Du moins, verbalement. Lenni Mayer les a-t-il gardées par devers lui ? Il ne peut pas ignorer que Dam vaut 44 et que si l’on ajoute un Alef à Dam on obtient Adam, le nom du premier homme dont le poids numérologique est 45. Une valeur numérique qui, à son tour, convoque le mot Ma ( Mem Hé), ” Quoi “, base du questionnement fondamental avec Mi (Mem Yod) ” Qui “. Cervantès utilise le nom de Mami pour désigner l’argonaute capable de mener le navire de la civilisation à bon port dans Don Quichotte. Mami définit la personne capable de pratiquer les deux sortes de questionnement. Celui du Ma, ” Quoi ” qui consiste à interroger la matière, les choses, ce qui est là, sous gouverne d’Elohim. Celui plus subtil du Mi, ” Qui ” dont la fonction, sous gouverne du Tétragramme, est de faire savoir ce que sont la structure, l’énergie et le système fonctionnel qui animent la réalité. Avec les deux sortes d’instruction, l’intelligence humaine est équipée. Est-ce là un sous-entendu pour l’auteur du film qu’intitule la lettre grecque dite Pi ? Dans ce cas, poursuivons l’inspection des chiffres. Pi = 3, 14. Otons la virgule. 314 est la valeur numérique de Schadaï, l’Immanence divine qui dit ” Assez fait , arrêtez! ” à l’élan constructeur des choses. La lettre grecque, symbole de la valeur numérique qui permet de calculer la circonférence d’un cercle, se transforme en information hébraïque et devient une mesure évolutive applicable à toute unité cyclique. Faut-il soupçonner monsieur Aronofsky d’avoir édifié en film une consigne stratégique et de vouloir en fournir la clé à ce monde désemparé devenu notre radeau de la Méduse ? Que ne le fait-il clairement ! Il serait alors notre bouée de sauvetage.

Pourquoi Lenni Mayer laisse-t-il au secret cet enchaînement de données immanquablement actives dans son esprit ? Ce sont des non-dit pour le spectateur du film. Mais pour lui, ce sont au minimum des demi – dit, dès lors qu’il se proclame kabbaliste. Le metteur en scène Darren Aronofsky s’est-il appuyé sur ces relations pour construire son scénario ? Aurait-il, très consciemment, pris ces pondérations ésotériques comme graines informationnelles pour en tirer les événements formant la réalité visible et visitable dans son film ? Il n’est que de voir ce qui s’y passe pour constater qu’il a traité les faits qui s’y déroulent en véritables réponses à ces évaluations silenciées. Licenciées. Comme reines ou comme servantes ? Les événements se greffent sur leur éloquence discrètement restée en aparté. La puissance décisionnaire du Verbe parlant hébreu a été cachée. Mais elle crève l’écran. Ou le spectateur la voit. Ou il en est mystérieusement frappé, sans savoir à quel démiurge rendre justice de son émotion. Pi = 3, 14 serait-il un film dont faire obligatoirement l’exégèse ?
Repartons de la valeur numérique 44 dont Lenni Mayer n’a livré qu’une seule irradiation, celle qui désigne l’enfant, fruit de l’union du père et de la mère. Quel enfant ? On veut bien qu’un souci directeur ait inspiré sa leçon. Elle se limitait à montrer que la numérologie associée au lexique hébraïque reflète une sorte de pensée décrivant la réalité. Il s’est arrêté d’exposer ce qu’il en sait à l’instant précis où la logique de sa connaissance lui imposait d’en venir au sang. Dam n’est pas mentionné alors que sa valeur numérique est un 44 que n’importe kabbaliste chausse comme sa pantoufle. Omission calculée ? Dans quelle intention ? Le sang joue un rôle primordial dans le film de Darren Oronofsky. Le sang, c’est toute la tragédie de Max Cohen. Cet homme saigne sans cesse du nez. Sa narine droite lâche fréquemment des coulées noirâtres. On le voit à plusieurs reprises aller au lavabo laver son visage maculé. Preuve que la valeur numérique 44 a bien été retenue dans le sens où elle désigne le sang. Tout bâillonné qu’ait été son mot, la chose qu’il désigne, le sang, est devenue élément formel de dramaturgie.

En application de la certitude bien connue du Sacré, selon laquelle le Verbe crée les choses en les nommant. Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut. La foi coranique traduit ce mode de fonctionnement par son impérieux Kun Fayakun. La microbiologie montre qu’un processus à sens unique va de l’ADN à la protéine et qu’en amont de toute matérialité agit un triplet de signification verbale. Darren Aronofsky aurait-il fait surgir le sang à partir d’une verbalisation dissimulée au spectateur mais qui a existé dans son esprit ? Et qui serait à rechercher à partir de la force exécutive que lui est le film tout entier. Serait-ce la clé de son énigme ? Le mystère provocateur des insolubles méditations qui tourmentent les jeunes admirateurs du cinéaste américain ?

Pour leur faire plaisir devrait-on mener l’exégèse de Pi en grand style talmudique ?

Dans ce cas, la circonstance où le mot sang n’a pas été prononcé devient l’indicateur positif du sens à découvrir. La circonstance ? Dam 44 n’a pas suivi le 44 de Yeled. Rupture de la relation. Relation à rétablir entre l’enfant non désigné et le sang qui coule dans ses veines. Le sang n’a pas été cité après que l’enfant soit en quelque sorte venu au monde. Serait-ce que Dam soit un indice de naissance ? Une marque comme une tache de vin sur le front, dans le style de celle qui honorait Gorbatchev ?

Pour répondre à cette question, il faut sonder le film de A à Z. Et se demander quel est le fils de pute (comme on dirait en espagnol) qui est l’objet de ces considérations. Ce ne peut être que celui qui saigne. Et comme il est juif et que l’analyste du film joue les talmudistes, force est de lui appliquer la règle selon laquelle, au moment de la conception, un troisième acteur s’ajoute au spermatozoïde paternel et à l’ovule maternel : Dieu (dit-on). C’est aller vite en besogne lexicale. Disons plutôt : un mot issu du Verbe divin qui résonne dans la Création. Un vocable qui à lui seul ferait destin. L’énigme à éclairer ce serait donc le destin de Max Cohen.

Une longue séquence surveillée par une seule caméra placée en hauteur le montre marchant le long d’un quai sur des traces de sang de plus en plus épaisses. C’est sa vie qui est évoquée par sa déambulation sur ces coagulations de plus en plus larges. En suivant ces marques sanglantes, Max Cohen retrouvera-t-il le chemin de sa maison, à la manière du petit Poucet ? Je veux dire : le secret de son sort ? Oui, s’il se souvient qu’en hébreu le nom de l’homme, modèle des Hommes, premier du genre, Adam, porte un nom qui vaut 45 : Alef-1, le système de vérité, s’ajoutant au 44 du sang.

En l’espèce, le sang est la pièce à conviction permettant d’augurer le destin de Max Cohen. Le silence posé sur sa détermination linguistique en hébreu devient le mot – légende de son histoire personnelle. Autrement dit, cet homme a du sang (44) et il en perd beaucoup, étant sujet à des hémorragies nasales, mais il n’est pas un Adam complet (45). Il n’aurait pas d’Alef. Serait-ce là le diagnostic à déposer sur le cas clinique du mathématicien que torturent d’effroyables spasmes apparemment d’origine cérébrale ?

Le texte publicitaire au dos de la cassette l’annonce sans équivoque : Max, mathématicien de génie, sujet à d’atroces migraines, est sur le point de trouver la formule qui pourra élucider le mystère du monde. Ce Cohen-là souffre de migraines violentes qui le terrassent comme le feraient des crises d’épilepsie. Ces convulsions s’accompagnent de saignements de nez par la seule narine droite, de tremblements de la main, pouce secoué comme s’il était la proie d’un titillement électrique. Sa main droite, c’est sa main droite qui est assaillie d’incoercibles tremblements. Il les arrête parfois sous la pression de sa main gauche. Le pouce de sa main droite, mesure naturelle de l’induction partie de l’aire de phonation, c’est ce pouce-là qui est animé de saccades nerveuses. Une vibration anormale qu’un maître Zen réduirait aisément, en connaisseur du Tai chi ou du Shiatsou, ou de toute autre spécialité chinoise du régime de l’énergie dans le corps tel que l’enseigne le Taoïsme.
Ces signes, mon cher Patrick Bosché, ne trompent pas un psychosomaticien de votre compétence. Vous les aurez observés et nécessairement attribués à une défaillance de l’influx central. Max Cohen souffre de ce que l’énergie qui le fait vivre est mal embouchée dans son aire du langage, soit qu’elle n’ait pas la force de s’y implanter profondément, soit qu’elle provienne d’un distributeur alternatif lui infligeant des coupures d’alimentation. L’Alef, en lui, serait défaillant. La décussassion fait que le défaut cérébral localisé à gauche répercute sur le côté droit du corps où il se manifeste au plus près de sa source, au niveau des bras et des mains. L’Alef étant en cause, et avec lui le système de pensée propre à la tradition hébraïque en son tempo kabbalistique, il est difficile d’éviter de songer au déploiement progressif de la descente de l’influx central sur le tracé séphirotique . Quand on connaît la règle physiologique concernant cette émanation dans le corps dont les séphiroths suivent la propagation idéale – savoir lié à la maîtrise du système Alef – on peut réfléchir au syndrome de troubles dont Max Cohen est la proie.

On sait que le pouce est en liaison directe avec l’aire de phonation. Raison pour laquelle il est opposable à tous les doigts, chez l’homme, symbole de la parole qui peut affronter n’importe quel thème. Les frémissements involontaires qui frappent le pouce de sa main droite seraient les symptômes d’une altération cérébrale localisée dans son hémisphère gauche, dans la région de son aire du langage.

Anomalie neurologique d’origine traumatique. Enfant, désobéissant à sa mère qui lui intimait de ne pas regarder le soleil, il aurait toisé longuement sa lumière sans protéger ses yeux. Il en aurait été aveuglé. Il se souvient d’avoir perdu la vue et d’avoir un jour retrouvé la perception de la lumière au travers de ses bandages. Est-ce là le germe dont il vit la montée en herbe dans le cadre de son existence d’adulte ? En tant que mathématicien aussi, il regarde l’Absolu, aveuglé par sa confiance dans le pouvoir expressif des calculs. Symbolique, alors, cette mésaventure d’enfant ? Le traumatisme résiderait-il dans la contemplation excessive de la source de vie ? Ne continue-t-il pas à faire la même chose, alors que devenu mathématicien, il vise à dégager la formule qui engloberait l’Univers dans une équation pourvoyeuse de toute l’intelligibilité concevable ? Nous assisterions alors au spectacle d’une vocation se développant en deux temps, chaque instance ayant provoqué son désastre. Cécité pour la première, migraines insupportables pour la seconde. Aveugle à la suite de son premier affrontement de l’Absolu dans le soleil. Malade alors qu’il utilise des calculs pour atteindre l’Absolu et le bloquer dans une équation. Comment ne pas voir l’archétype du Redoublement dans ce processus en deux tempi ? Cette norme que les talmudistes appellent le davar schanoui, le dire deux fois. Voilà qui officialise sa vie sous imprimatur initiatique. Nous sommes en face d’un cas humain dont on ne fera pas l’analyse si l’on ne dispose des moyens nécessaires, les moyens propres à la connaissance sacrée.

Max Cohen se voit atteint d’une souffrance cérébrale qu’il situe au dessus de son oreille gauche, dans la zone temporale, là où se trouve la troisième circonvolution dite aire de Broca qui gouverne le pouvoir de parler. L’aire de Wernicke est légèrement au-dessus, assurant la captation du sens. Une lésion sur sa circonvolution entraîne la perte de toute compréhension. Le patient parle mais ne sait pas ce qu’il dit. L’atteinte de l’aire de Broca empêche de parler mais ne prive pas la conscience du pouvoir de saisir le sens. Max Cohen ne présente ni l’un ni l’autre type de blessure. Il peut parler et il a la maîtrise du sens des mots. Son mal est donc d’une troisième espèce.

La logique de la pensée kabbalistique impliquée par le scénario conduit à un diagnostic qui n’est pas intelligible dans le cadre de la médecine allopathique. En revanche, il l’est aisément dans le cadre des médecines sacrées, la chinoise en particulier parce qu’elle surveille le tchi, l’énergie, l’influx ambulant qui nourrit l’organisme. L’antique médecine kabbalistique disposerait d’une pertinence égale pour se prononcer au sujet de ce qui ne va pas dans la personne de Max. Était-il dans son destin d’être un Cohen, un prêtre selon la doctrine biblique ? Il en porte le nom. Aurait-il trahi la mobilisation naturelle qui aurait dû le conduire à devenir un expert du système Alef ? Se serait-il trompé sur son sort ? Il mène une existence intellectuelle qui, peut-être, ne gère pas correctement l’énergie cosmique déléguée sur sa personne. Une erreur d’interprétation qui se ferait alors payer bien cher.

La façon dont son cerveau draine toutes les ressources de son esprit dans la manipulation des nombres, des équations et des fonctions qui en découlent n’est peut-être pas accordée à la vocation donnée par son nom, surimprimée par le mot de destin accolé à son être au moment de la fécondation. Le système qui gouverne son être refuserait la déviation fonctionnelle et le lui ferait savoir par des impulsions d’origine métaphysique, qui se convertiraient dans sa chair en brûlures cérébrales. Pourtant, normalement le cerveau est un organe indolore. Il n’est pas surmonté d’un sur-cortex qui lui dirait ce qui se passe en lui, à commencer par les douleurs. Si bien que même s’il souffre, le cerveau ne peut pas le déclarer. Max Cohen n’en est pas moins la proie de crampes énergétiques qui se résolvent en atroces souffrances. De quoi est-il la victime ? D’une erreur sur soi ?

Le système Alef inoculé à la créature humaine et qui lui confère l’énergie de vivre procède d’une délégation de l’énergie impulsant la vie toute entière sur la planète. Max Cohen comme tout individu en reçoit sa part. L’information qui dote son cortex de son énergie fonctionnelle n’est-elle pas accordée à son comportement ? L’anomalie résiderait alors dans ce fait. Il serait voué à remplir une certaine fonction. Il en remplit une autre. Il était prédestiné à devenir un initié, un être de Connaissance, maîtrisant la logique de la Création. Il s’est replié sur des études étrangères à cette formation et là, dans le secteur de l’erreur consommée, il a conquis ses droits impérissables à l’importance et à la capacité de savoir que lui accordait son destin. Etre un pontife. Cohen sacerdotal ou pas, il est Max. Un maximum. L’élucidation du secret de l’Univers était son affaire, réussie ou non. Diktat du nom et du moment où il entre en effervescence ? Sa neschama serait en rébellion. Elle était prédestinée à soutenir un autre usage que celui auquel il sacrifie son temps et ses forces. Les souffrances qu’il subit seraient les effets directs de cette réprobation.

L’Alef qui commande à son être n’a pas trouvé, dans sa personne, la culture qui lui aurait assuré une heureuse intégration. Le système Alef délégué sur sa vie et sa conscience se rétracterait par moment, contestant son positionnement sur un être qui cherche midi à quatorze heures, alors que les clés de l’Univers sont là, précisément, dans le système qui le maintient en vie, qui lui insuffle son génie. C’est cette force qui s’estimerait mal exploitée par le savoir intensivement pétri de nombres et d’équations. La difformité spirituelle serait repérable, répercutée dans son corps au titre de la solidarité psychosomatique. La médecine énergétique peut faire le diagnostic. Guitare non accordée au ” la ” de la vocation. Le système Alef en sa définition créatrice provoque le désordre, manifestant ainsi son désaccord. Une médecine énergétique dûment fondée sur l’ordre cosmique et ses relais peut aller jusqu’à inférer la rébellion du système de vérité comme cause des migraines effroyables qui abattent Max Cohen. Ses souffrances ne sont pas seulement psychosomatiques. Elles sont cosmo-psychosomatiques.

Les douleurs qu’il en ressent s’avèrent d’autant plus vives et insupportables que la situation évolutive, dans le milieu planétaire, est plus exigeante. C’est parce que le cycle civilisateur tire à sa fin que les conséquences des erreurs intellectuelles se font gravement ressentir. La fin est un espace de sensibilité qui accroît toutes les données actives en elle. C’est un lieu structurel où l’information originelle issue du cosmos resurgit en force, au titre de l’archétype prôné par Nietzsche sous le nom d’Éternel Retour. Sa puissance d’action est irrépressible pour les êtres humains. La science connaît le phénomène sous le nom de retour à l’archigène quand il se manifeste en botanique ou en zoologie mais le concept n’est aucunement individualisé et généralisé, reconnu comme une norme fonctionnelle se surimposant à l’ordre structurel. Cette valeur est ignorée de la science. En revanche, elle est connue de la doctrine sacrée.

Les violents maux de tête qui frappent Max Cohen reflètent probablement l’état désastreux du cycle qui a favorisé l’excès de productions matérielles ainsi que l’inflation des méthodes intellectuelles soutenant leur augmentation, au détriment des valeurs naturellement spirituelles. Les mathématiques font partie du camp abusif de la rationalité toute puissante se voulant en outre pensée unique. En tant que langage, elles ont pris la place de la loquacité spontanée du système de vérité qui gère la parole. Langue fabriquée pour les besoins du réalisme scientifique, elle ignore de quelles émanations elle est le résultat. Les mathématiques n’ont aucune idée de la nature de leur être. De ce fait, elles ne peuvent pas juger de ce qui est judicieux ou non dans les spéculations qu’elles organisent. Leur impérialisme n’en a été que plus féroce pour empêcher d’agir d’autres valeurs qui auraient peut être conduit la vie sur sa piste favorable et heureuse, si elles avaient été, tout au long du cycle, dirigées ” à la kabbaliste “, par des experts du système de vérité et de ses normes. L’alphabet hébraïque fournit la table de ces valeurs périodiques au sein de l’unité. Invoquer cette possibilité ramène l’exégèse à la leçon de Lenni Mayer lorsqu’il fournit trois exemples de la sagacité de la langue biblique dans ses corrélations avec la réalité et le réseau cohérent des valeurs numérologiques.

Le film pousse très loin le drame de l’insubordination intellectuelle aux lois de l’esprit qui gouvernent la Nature. Il nous montre un Max Cohen qui circonscrit le site de sa souffrance au dessus de l’oreille gauche. Au toucher, il y décèle une protubérance. Le cerveau est en cause, il s’en doute bien. Incriminer l’aire du langage ? Il ne se trompe pas sur la localisation de son mal. Simplement, il lui faudrait songer à la seconde fonction de l’aire du langage. Non pas celle qui permet l’articulation du langage parlé mais celle qui relie l’individu au cosmos et permet qu’il y ait communication entre eux, entre le Tout et la partie, entre le cortex planétaire et les cellules que lui sont les créatures humaines, génération sur génération. Max Cohen ne soupçonne pas ce pouvoir associatif d’être possiblement en lui la cause de son mal-être. Mais le dysfonctionnement, dans l’aire du langage, peut ne toucher que la fonction secondaire, celle qui consiste à mettre le Tout en rapport avec l’individu. A-t-il compris pour autant que ce qui refusait d’être plus longtemps maltraité dans son cerveau, c’était précisément le mauvais usage de son pouvoir cérébral ? Son malaise, il le localise avec justesse lorsqu’il trace sur son crâne rasé, au dessus de l’oreille gauche, sur la partie temporale haute, un quadrilatère, site qu’il accuse d’être responsable de ses souffrances. Il l’attaque à la perceuse électrique. Auto-trépanation symbolique de la recherche que tout être doit mener sur lui même afin de savoir qui il est. Après quoi, vidé d’un talent mathématique inutile, il découvrira la douceur de sourire. Il a détruit dans son cerveau la disposition fâcheuse qui le torturait.

Voulant coincer sous équation le principe d’unité, Max Cohen aurait-il fait souffrir la notion de Modèle Absolu voulant que le principe d’unité soit humainement incarné dans le cerveau d’Homo Sapiens Sapiens ? C’est là le secret de la thèse kabbalistique. Il faut supposer que ce principe – puisqu’il est cérébral et doué de parole – réagit à ce que l’on dit de lui. D’ailleurs, il le fait. Il se montre. Il apparaît dans le film, devenu tout à coup une sorte d’interlocuteur pantelant, face à un Max Cohen horrifié. A trois et quatre reprises (le compte est bon au regard de la loi du Pardès, clé de la sagesse kabbalistique), il voit à ses pieds un cerveau déboîté de son crâne, masse viscérale tremblotante, sans que l’on sache si c’est une hallucination ou un fait objectif. A trois reprises on voit Max Cohen affronter cet organe isolé, extériorisé, qui le nargue ou le toise. Avec un instrument contondant, il pique trois fois une circonvolution de ce cortex dénoyauté. Cette matière grise séparée de l’organisme dont elle est l’ordinateur fonctionnel, le logiciel physiologique, est horrible à voir, dévorée par des fourmis. La répulsion qu’elle lui inspire est telle qu’il aura l’énergie la plus féroce pour en enfoncer la masse dans le tube d’évacuation du lavabo où il la voit avec dégoût pour la quatrième fois. Il en tirera l’étrange courage de décortiquer le site de sa souffrance à la perceuse électrique. L’idée se serait-elle échappée de mon livre La Kabbale retrouvée ? Le dernier chapitre porte en exergue : Si vous ne faites pas la différence, continuez à bricoler. Publicité pour une perceuse électrique.

Et vraiment c’est le bon conseil. Continuer à travailler les dessous conceptuels de ce film étrange. Que fait la fourmi sur le cerveau extrait de sa boite crânienne ? Elle court aussi sur son ordinateur où elle dépose un miel qui n’a pas bon goût. La fourmi est un insecte qui n’a que des ganglions en guise de cerveau. Néanmoins, un adage du roi Salomon dit qu’il faut lui demander la sagesse. Le conseil biblique a dû se faire entendre aux États Unis, en 1997, comme la mer au fond d’un coquillage. La formule a dû circuler aussi dans l’Occident littéraire. Un romancier s’en est emparé pour faire valoir la fourmilière comme modèle de société. La fourmi ne se trompe pas, question sagesse, lorsqu’elle rôde sur un cerveau, fut-il éradiqué de l’organisme vivant. Elle en ronge la matière grise. Pour signifier qu’elle est chez elle, sur cet organe ? La sagesse, effectivement, n’a pas de site plus adapté pour se loger organiquement dans un être. Mais quel rapport exatc l’hébreu voit-il entre la fourmi et la sagesse ? Le roi Salomon s’est certainement fié à ce que la langue hébraïque lui en disait, avec l’appoint considérable de son écriture. C’est ce que j’ai cru sage de préciser à l’adresse de Bernard Weber un soir où le jeune romancier était tout heureux de me soumettre le texte auquel il devait son inspiration. Demande la sagesse à la fourmi . Je l’ai déçu :

Pas la fourmi. Son nom en hébreu.
C’est le nom de la fourmi qui est, en hébreu, l’équation scripturaire du concept de sagesse. Noun, Mem, Lamed, Hé comme on le voit écrit au chapitre 6, 6 des Proverbes. Le verset conseille d’aller vers la fourmi, paresseux ! Vers la formule de sagacité donnée par son nom lu lettre à lettre. L’homme culturel (Noun) interroge l’universalité en marche (Mem) pour apprendre de cette lettre ce qu’elle enseigne (Lamed) concernant la dualité (Hé). Et là, il faut du courage et de l’endurance, interroger les sciences et les traditions. Paresseux qui ne le fait pas. Il ne remplit pas les exigences de l’archétype qui s’appuie sur la dualité droite-gauche du fonctionnement cortical pour en dégager, par mimétisme supérieur, une règle méthodologique.

Darren Aronofsky a-t-il senti passer le rayon laser du principe méthodologique porté par le nom de la fourmi, en hébreu ? On le croirait aisément à voir le rôle qu’il confie à cet insecte dans son film. Des fourmis dévorent le cerveau que Max Cohen enfonce furieusement dans le lavabo afin de ne plus le voir dans sa matière organique. C’est le nom de la fourmi, le message que composent les lettres de son vocable qui sont les habitants légitimes du cerveau. Le corps noir brillant d’une fourmi occupe soudain tout l’écran. Son corps articulé se dessine tout seul en un beau schéma que l’on croirait gravé au burin. C’est au naturel le schéma d’une table d’archétypes où les pattes sont des concepts et le rond de la tête une donnée métaphysique. Le cinéaste a photographié l’insecte de telle manière que l’on croit voir une interprétation graphique de la courbe séphirotique ou de la distribution en tableau des critères de l’Absolu. La sensibilité du cinéaste américaine s’avère là plus proche de la vérité que la sensiblerie du romancier français.

Le malheureux Cohen, lui, ne se doute de rien. Il ne sait pas – mais qui le savait parmi les auteurs du film ? Darren Aronofsky ? Ou le cosmos en train de l’inspirer ?- que le cortex est exactement la clé du mystère qu’il traque dans les équations. Une scène le fait comprendre : celle où, dans la synagogue, Lenni Mayer pose les phylactères de tête sur le crâne du scientifique. Il faudrait savoir ce que signifient les téphilin, ces instruments de prière, ces bandes de cuir noirci et assoupli, courroies qui ont la propriété allusive de mettre en évidence le rôle de la tête et celui du bras gauche dans la préparation à la prière. Aucun éclaircissement n’est donné à leur sujet par le personnage chapeauté dont l’aimable sourire figure la félicité du croyant, opposée à la tragédie vécue par le mathématicien. On veut bien admettre que penser symbolique et religieux fasse le bonheur de l’individu, à l’encontre de la recherche. Mais assister à ce pacifisme spirituel ne suffit pas. Un gros plan nous montre la fumée qui sort de la bouche souriante du kabbaliste new yorkais. Son discours est fumeux. Il n’est pas actualisé. Il n’est que mémoire semi perdue de la sagacité qui était celle des kabbalistes des hautes époques. On ne peut pas utiliser une connaissance qui se desquame sur les souvenirs de ce qu’elle a été.

D’ailleurs, Max Cohen ne réagit pas à la pose de la couronne de l’emblème religieux sur sa tête. Il juge intéressant ce que lui dit Lenni Mayer : que Dieu aurait donné la clé de sa Création. Mais il ne voit pas le signe qui lui apporte la solution de l’énigme qu’il traque dans les chiffres. Il ne pense pas : c’est la tête. Il ne se frappe pas le front en criant Eureka (en grec, à cause de Pi, pas en hébreu ! En hébreu, le 314 lui intimerait l’ordre de renoncer aux calculs pour ce qui est de découvrir la formule d’Univers). Et c’est drôle. Je me sens compromise dans son drame. Il n’a pas lu Le Secret des secrets paru aux éditions universitaires sous le titre La Kabbale retrouvée, (1985) réédité par M.L.L / La Bouche du Pel en 2002. S’y trouve exposé noir sur blanc le concept métaphysique faisant de Rosch la clé de la Création. Douze ans plus tard, un américain appelé Max Cohen ne sait toujours pas que le système Alef est le régime fonctionnel d’un cerveau idéal, d’un Rosch Primordial dont l’Univers est un hémisphère, et que toutes les unités qui se développent dans l’espace cosmique s’organisent sur ses directives. En 1997, date où le film a été tourné, il ne le sait toujours pas. La presse n’a pas répercuté la nouvelle : elle s’est donc étouffée dans le livre qui la libère. Du coup, c’est comme si je n’avais rien dit. Si le cosmos a voulu que je parle en son nom, il en est pour ses frais. Nul ne sait rien de ce qui fonde la vérité éternelle au plan cosmique, ni les physiciens, ni les cosmologues, ni les auteurs de l’article paru le mois dernier en français et à Paris dans La Recherche sous le titre Dieu est-il un ordinateur ? Les communications sont lentes dans ce monde qui croit à Internet. L’Ordre cosmique a pourtant résolu la question en 1994. Et c’est ce qui m’a touchée, personnellement, dans le film de Darren Aronofsky. J’ai eu l’impression que cette œuvre lui avait été inspirée par quelqu’un qui voulait lui conseiller de lire mes livres. Quelle autorité pouvait bien avoir eu cette idée ?

Mes livres n’ont pas traversé l’Atlantique. Ils sont ignorés aux États Unis. Sauf à New York où deux écrivains juifs ont reçu, de ma main, La Face cachée du Cerveau. L’un d’eux ne peut pas le lire en français, il n’en parle pas cette langue. L’autre n’a aucune envie de défendre une thèse qui n’est pas sortie de sa bouche. En France, la culture officielle n’a pas voulu de mes informations. La rationalité au pouvoir s’est opposée à ce que les ouvrages qui la délivrent soient connus. La Face cachée du Cerveau, paru en deux tomes aux éditions Séveyrat en 1989, réédité en un seul par Dervy en 1991 et qui entrera bientôt dans sa troisième édition n’a fait l’objet d’aucune présentation radiophonique, télévisée ou simplement journalistique. Aucun écho ne lui a été accordé, si ce ne sont des emprunts rapaces détachant en catimini de sa thèse quelques bonnes idées aussitôt exploitées. Le texte va bientôt paraître en langue allemande aux éditions suisses Viamala. Sont-elles bien nommées. On ne peut mieux puisque, dans notre société de consommation où l’économie tient lieu d’esprit, est appelée mauvaise voie, celle qui conduit à la vérité métaphysique.

Auteur et metteur en scène d’un sujet fortement associé à des réseaux différents de science et de sagacité philosophique, Darren Aronofsky a été étrangement inspiré pour écrire et réaliser son Pi. Est-il lui même le kabbaliste compétent qui a maîtrisé l’intrigue en accord total avec le Modèle Absolu, le plérôme divin et son système fonctionnel, le système Alef ? S’il a eu cette puissance d’esprit, que n’écrit-il des livres. Je me mettrais au chômage sans remords, rassurée. Un être plus habile que moi et mieux vu des sélectifs miradors de la culture rendrait au monde le service de le mettre au courant de la vérité éternelle. Étant américain et juif, il aurait deux fois plus de chance que moi de se faire entendre, misérable française née en Provence et que rien ne préparait à kabbaliser, si ce n’est son nom de famille. L’écriture convient au message à passer. Beaucoup plus que le cinéma puisque l’image demande le commentaire et donc le recours à la parole. On vient de le constater : Pi a eu besoin d’être éclairé par d’autres spots que ceux des studios d’Hollywood. La question qui se pose alors est celle-ci : qui a pris les devants pour dicter à Darren Aronofsky un scénario aussi déflagrant, lui inspirer une mise en scène aussi percutante, autour d’un sujet aussi tonitruant ? Est-ce le Cosmos directement, en sa qualité de précepteur inlassable ?

Cette œuvre est un cri d’alarme. C’est aussi un diagnostic de situation : excès de scientifisation chez Max Cohen, retard d’actualisation chez Lenni Mayer. Le drame moderne réside dans la dénivellation devenue déchirure entre le Savoir en quête d’Absolu, et le Sacré ayant perdu la mémoire de la connaissance qu’il en a eue. La pensée juive serait spécifiquement le lieu de ce décalage. On ne pourrait plus compter sur elle pour rétablir la cohérence entre ce qui se cherche et ce qui a été su. Pi = 3, 14 exprime le diagnostic de l’Invisible sur la discontinuité qui lui interdit le rééquilibrage des forces réflexives. L’ordre serait néanmoins de retrouver l’Alef coûte que coûte. L’Alef qui est à relancer, système des systèmes. L’Alef qui est la clé de l’Unité. L’Alef qui est la source inaltérable du Modèle recherché. L’Alef qui est l’inducteur de Rosch, le cerveau doué de la puissance de parler.

Ce film m’est apparu comme suspendu à la chaîne des œuvres qui attestent la réalité de la grande démarche réflexive dirigeant la Vie sur la planète. De décade en décade, il arrive qu’une aventure insolemment fixée sur pellicule rende compte de cette histoire méconnue par delà celle dont nous aimons les racontars. Un artiste s’est trouvé soudain en prise directe avec l’inspirateur cosmique. Il a eu du génie. Le génie qu’a voulu tout juste lui administrer l’ange instructeur général de l’humanité. Il lui inocule sa propre sapience. Phénomène classique en fin de cycle. On y repère toujours un individu qui sert de synthèse à tout ce qui s’est dit dans la sphère de pensée qui se ferme, grande ou miniature. Bruce Lee pour le Kun fu. Manolete pour la tauromachie. Moïse pour l’ère de la communication. Rabbi Aqiba pour l’épopée hébraïque. Cervantès pour la Kabbale. C’est épatant car alors, on peut suivre la courbe de la pensée qui nous pense et voir comment le codon divin – Acher pour ne pas le nommer – cloue son point de vue sur les décalcomanies que la sottise humaine tire approximativement de ses directives insoupçonnées. La surprise c’est que le cinéma ait pris le relais des écritures et des commentaires littéraires. Curieuse invagination pour la perception du message. Et comme il se dissout dans les images, il faut le remonter en surface, sur la ligne du présent où la parole parle en direct. Serions-nous à vivre dans le creux anormal d’un repli du Temps ?

A la distance de vingt deux ans Pi= 3,14 reprend et complète le discours qui passait par Monsieur Klein. L’œuvre de Joseph Losey faisait valoir en 1976 le danger terrifiant qu’avait été le nazisme en 1942 dans sa volonté de détruire le peuple juif, ce qui revenait à assassiner l’humanité. La conscience cosmique a dû voir de haut le péril qui menaçait l’émanation du message divin, le génocide du peuple juif entraînant l’extinction de sa culture, prise de copie des dictées cosmiques. Les événements dramatiques dont Monsieur Klein fait la synthèse ont été relevés en France. C’est qu’il était essentiel d’émouvoir ce pays, afin qu’il sente comme sienne la responsabilité de sauver le monde un jour, en sauvant la doctrine de la Création. Pi s’adresse aux États Unis. Et par le prestige du cinéma hollywoodien, au monde entier. Ce film nous fait savoir que l’heure est venue d’affronter la réalité du principe de Création. Il ne s’agit plus seulement de préserver la doctrine du Sacré, comme en 1942 et 1976, mais d’en venir à elle, non pas demain mais tout de suite, dernier recours de la Vie et de la planète pour sauver leur avenir, s’il en reste derrière la montagne de l’ignorance.
Ces deux grands films balisent chacun un éclat puissant de la persévérance cosmique à distiller la vérité éternelle. Véritables mesures d’arpentage pour sa propagation, ces œuvres répondent certainement à la pression évolutive qui se fait jour en toute fin de cycle, quand le thème confié à une unité enregistre le retour archigénique, phénomène de conclusion qui lui confère fermeté, fixation et force d’expression. Chacun de ces films appartient à une sphère différente d?évolution mais ils s’enchaînent en continuité sur un seul et unique vecteur réflexif. Le premier manifeste le danger que les nazis font souffrir au judaïsme porteur du système de vérité. Le second fait valoir la tragédie que serait l’échec de sa transmission, si remède n’était toujours donné avant le mal.

Analyser Pi=3,14, après avoir sondé Monsieur Klein, fait apparaître la continuité d’une réflexion primordiale dont la Vie sur terre assure la transmission, utilisant l’humanité en secrétariat de direction. Les vivants que nous sommes prennent en sténo le texte dicté, sans se douter nécessairement du rôle qu’ils tiennent et de la mission qu’ils remplissent. Par chance, les événements font le décalque de ce qui est dicté. L’exégèse doit se surimposer aux bandes dessinées qui en rendent compte. On voit alors comment la conscience planétaire allume certains neurones en des points cruciaux de son réseau, réussissant la performance magistrale de penser ce qui doit l’être, en dépit de l’énorme distraction qui affecte l’esprit des humains, obnubilés par des urgences ou des intérêts immédiats. C’est pratiquement le sujet de ce film que dénoncer l’absence de l’instrumentation qui ferait la clé glisser dans la gâche. Le scénario propose en effet la singularité d’une situation sans issue, la solution à lui offrir étant tout juste ce qui lui manque. Mais le génie du film est d’avoir su montrer à vif que ce qui manque existe, puisque le film est conduit d’un bout à l’autre par ce pseudo-absent.
Après vingt-deux ans, Pi se raccorde à Monsieur Klein, comme deux phrases se succèdent en développant un seul et unique discours. La même vibration métaphysique anime les deux œuvres. La première montre le danger, la seconde est traversée par le timbre alarmant d’un ratage qui mettrait la civilisation définitivement à mal si tout s’arrêtait là. Avertissement sinistre, morbide, insoutenable dont il faut très vite relever le défi. Il ne faut pas que l’échec démontré par ce thriller mathématique soit enregistré par la mémoire du cycle dont nous vivons l’agonie. Si son diagnostic était pris comme information définitive et que l’énergie qui agit dans le monde en propage partout la donnée, le malheur et la mort seraient sur la planète. C’est la peur effroyable qui m’a glacé les os, hier au soir, dans mon salon révulsé, après la projection de cette œuvre industrielle et commerciale qui se vend en vidéo depuis 1999, quelques temps avant que les Tours du World Trade Center ne s’effondrent. Il serait stupide de ne pas relier un fait à l’autre. La réalité sous-tend les deux, dans le tissu de sa cohérence qui est celui de sa charnalité. Une charnalité qui n’est que l’enveloppe sensible du vouloir cosmique.

Dominique Aubier, Les Minières, 7 mars 2003

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