Dominique Aubier La Dame de Carboneras

Dominique  Aubier

La connaissance de l’Universel

La mission de la France

Dans cet essai, nous allons aborder la vie et l’œuvre d’une femme profondément reliée à l’Espagne, à l’Andalousie, à la côte du Levant d’Almeria et en particulier à Carboneras. Il s’agit de reconnaître la personnalité d’une femme écrivain et intellectuelle française passionnée par le Sud, qui mena un travail de création intense pendant les années où le franquisme luttait pour sa survie (1960-1975) et qui partagera son lieu de résidence entre Paris et Carboneras. Cet hommage d’Axarquia s’inscrit dans la droite ligne des pages dédiées à la mémoire d’une vie et d’une œuvre littéraire à considérer comme précieuse pour notre propre histoire. Mais dans le cas de cette œuvre, nous devons prendre en compte le large éventail des centres d’intérêts littéraires qu’elle implique et nous rendre à l’évidence que nous avons à faire à une forte tête largement reconnue pour ses travaux sur la kabbale et la symbolique de l’alphabet hébreu. Au delà de l’hispaniste convaincue, comme le montrent ses travaux sur la tauromachie, la traduction de Bernal Díaz del Castillo et du théâtre baroque espagnol, les collections illustrées sur Séville, Pampelune ; au-delà même des livres qui recueillent ses interprétations ésotériques au sujet de la connaissance sous jacente et du sens particulier d’œuvres cinématographiques ou littéraires, entre autres, le sens kabbalistique de Don Quichotte.

Mais pour mesurer l’ampleur de son œuvre, il suffira de consulter sa vaste bibliographie (dont nous ne publions ici qu’un extrait).
Ajoutons qu’il lui revient aussi la fierté d’avoir obtenu, par la publication en espagnol de son essai Don Quichotte prophète d’Israël, (sous le titre Don Quijote profeta y cabalista) que le ministre Manuel Fraga propose avec succès l’abrogation de l’édit d’expulsion des juifs promulgué en 1492, qui était toujours en vigueur en 1967. Dans son engagement, elle écrivit aussi une courageuse Lettre ouverte à Jacques Chirac, intitulée Tir de voyance sur Mururoa, au moment des derniers essais nucléaires français réalisés sur l’Archipel de Polynésie.

On peut trouver des informations à son sujet sur Internet à partir de son nom d’auteure avec lequel elle signe ses livres. De sorte que pour mener une recherche à son sujet, il faut suivre deux pistes. Celle liée à son nom et celle liée à son nom d’écrivain, bien qu’il s’agisse de la même personne : Marie Louise Labiste (la femme) et Dominique Aubier (l’écrivain).

II. L’IMPORTANCE DU PERSONNAGE : SA VIE ET SON ŒUVRE

En considérant l’ensemble de sa vie, nous nous pencherons avant tout sur sa relation avec l’Espagne. Il revient à Axarquia l’honneur d’établir ce portrait, peut-être le premier en espagnol, depuis ce Sud qui l’a tant accompagnée. Comme l’évoquent les titres de certaines de ses œuvres : Espagne, Deux secrets pour une Espagne, Le Pouvoir de la rose, etc.

Marie-Louise Labiste est née le 7 mai 1922 à Cuers (département du Var, en Provence, au sud-est de la rivière du Var, proche de Toulon, région des Alpes Côtes d’Azur). Elle fait ses études à Nice et la guerre éclate quand elle a 17 ans. Elle rejoint la Résistance à Grenoble et prend le pseudonyme de Dominique Aubier, non en tant qu’écrivain mais comme Résistante (il existe une maison d’édition à Paris, fondée en 1924 par Fernand Aubier, mais nous ignorons le lien avec notre femme écrivain). Elle rencontre là celui qui deviendra bientôt son mari, le médecin, lui aussi Résistant, Genon-Catalot, avec qui elle aura deux enfants. Il lui communiquera son goût pour la peinture des grands maîtres.

Néanmoins, en 1958, le couple se sépare et Dominique décide d’explorer le Sud, à la recherche d’un lieu paisible où éduquer son jeune fils Bruno, et où elle pourra, dans le même temps, se dédier à la pensée et à l’écriture d’une interprétation kabbalistique de Don Quichotte. Par cette œuvre, elle fut liée à Paris au groupe d’exilés espagnols qui se réunissaient tour à tour à la Librairie de Soriano (Claudín, Semprún). C’est là qu’elle fit la rencontre de Manuel Tuñón de Lara, qui survivait en écrivant comme « nègre » (d’après Haro Tecglen), tandis qu’il passait sa licence à la Sorbonne. De leur collaboration, portant la signature de Dominique Aubier et Tuñón de Lara, nous avons le livre Espagne. Elle connaîtra aussi Juan Goytisolo, avec qui elle participera à un projet de revue littéraire, finalement inabouti. Elle publie ses livres aux éditions du Seuil et sous les encouragements d’Alexandre Derczanski, de la revue Esprit, qui lui rédige une liste de livres et l’encourage à l’étude de l’hébreu, elle commence son enquête, tel l’inspecteur Colombo, à la recherche du texte hébraïque que Cervantès dit s’être procuré au marché de Tolède. Dans cette ville, affirme notre auteure, Cervantès se pencha sur la Kabbale et la lecture du texte autorise ce rapprochement.

Roberto Mesa se souvient de l’ambiance qui régnait autour de la librairie d’Antonio Soriano : « ( …) Soriano offrait à chacun la chaleur, une cordialité efficace, le sourire. Pour mieux nous réunir, il organisait des ventes avec les auteurs, comme prétexte à de merveilleuses fêtes de l’esprit et de l’amitié (…). Les intellectuels attachés à l’Espagne, espagnols de Paris ou d’ailleurs emplissaient la petite boutique de sonorités castillanes, de zézaiements andalous, de gravité académique française. Dans ces nuits, Lobo, joyeux et les cheveux bouclés, (…), Orlando Pelayo, ses tissus hallucinés, grandioses (…). Peinado, un Don Quichotte aux pinceaux braqués sur les moulins de l’art et du paysage, et Ortega, ou Manolo Ángeles Ortíz, (…), confident des années d’enfance et de jeunesse de Federico Garcia Lorca, (…). Je ne puis oublier ces silhouettes familières : Dominique Aubier, (…), Juan Goytisolo, petit, nerveux, tirant l’information à bout portant comme s’il déchargeait une mitraillette ; Tuñón de Lara, rêverie et charme, tendant une oreille rebelle vers Elena de la Souchère (…) Emmanuel Robles, solaire et profond, près d’Albert Camus, taciturne, peut-être trop grave, préoccupé (…) ». Située rue de Seine, la librairie était incontournable pour les amoureux de l’Espagne, ceux qui apprenaient sa langue ou l’enseignaient. Les rassemblements avaient lieu le lundi et dans les années soixante commençaient à débarquer les jeunes en voyages de fin d’études qui cherchaient des livres interdits en Espagne. Antonio profitait de ces moments pour « parler mal de Franco ».

Dans les années cinquante jusqu’à son divorce, Dominique Aubier et son mari visitent l’Espagne à plusieurs occasions et on trouve des témoignages littéraires et photographiques qu’elle a publiés, avec les photographes : Fête à Pampelune (1955) et Séville en Fête (1954-56). La première fois, le couple visite uniquement Barcelone, où ils assistent à une corrida. À partir de ce moment, elle se prit de passion pour l’art taurin, surtout son iconographie, réalisant des documentaires, films et livres illustrés en collaboration avec une équipe de photographes de renom, Brassaï et Igne Morath.

Lors de son voyage dans le Sud, elle découvrit les principales villes d’Andalousie (Séville, Cordoue, la côte de Malaga). Cette lumière s’imprima pour toujours sur sa rétine et des années plus tard, quand elle décide d’établir sa résidence dans ce Sud, ses pas l’amènent sur la côte du Levant. D’abord Cartagena et Lorca, ensuite Vera, plus loin Garrucha et Mojácar, et finalement Carboneras. Cette métaphore de la fuite dans cette direction, encore plus au sud, conduisit ses pas au quartier de Los Cocones, située également au sud de la localité. Là, face à quelques plages vierges aux eaux bleutées, témoins de sa prière quotidienne au soleil du Levant, pendant l’hiver 1961, Dominique Aubier décide d’établir son centre de vie, son espace de création et d’inspiration, et dessine le logis qui, pendant environ trente ans, abritera tant de réflexion, à la recherche de la lumière du sens dans les signes. Ce travail sémiologique est le propre des philologues, si en plus on l’applique au texte littéraire — c’est le cas de son étude sur Don Quichotte —, nous pratiquons une critique herméneutique du texte, ce qui requière une vaste connaissance des symboles graphiques et de leur sens.

Nous ignorons la formation académique de Dominique Aubier, bien qu’elle paraisse être un écrivain de formation autodidacte, un génie profane qui s’impose courageusement sur la base des études hébraïques et que l’on pourrait comparer à cet archétype de femme si particulier au modèle français (Madame de Staël, Madame de Sévigné, mais aussi dans la ligne d’une Madame Blavatsky), intéressée à déchiffrer le code occulte et unique du sens. À cet égard, D. Blumenstihl affirme : « Dominique Aubier dédie sa vie à résoudre le mystère de Don Quichotte, recueillant la mémoire d’une Espagne, Terre de rencontre des trois religions révélées. Elle propose au futur un vaste projet culturel en replaçant au centre le pouvoir du Verbe révélé ». Dans notre tradition littéraire nous disposons de la profonde œuvre en prose du poète Larrea dans la même veine symbolique et herméneutique, bien que leurs motivations diffèrent comme leurs interprétations. Quand à la thèse de Dominique Aubier, il faut signaler les travaux d’Américo Castro sur la réalité historique de l’Espagne, qui auraient pu inspirer et confirmer certaines intuitions de la femme écrivain de Carboneras.

Tandis que Dominique progresse sur son œuvre, Marie-Louise, la femme, vit à Carboneras, élevant son jeune fils, participant aux laborieux projets de développement du village, recevant les visites de prestigieuses personnalités parisiennes. Elle assiste, amusée, au débarquement de l’industrie cinématographique à Almeria. Acteurs et directeurs de cinéma, journalistes, universitaires et écrivains lui rendront visite. Au cours de la décennie, la collaboration issue de ces rencontres sera documentée dans la prestigieuse revue des Cahiers du Cinéma. Son étroite amitié avec l’artiste, peintre sculpteur, Hans Hartung, date de 1961. C’est à la même époque qu’elle participe au tournage du film Toro, en noir et blanc, sur les ganaderias de Vera et Córdoba, en collaboration avec Gilbert Bovay (Mythe et Métaphysique de la Corrida), où elle relate son amitié avec le père du Torero Luis Miguel Dominguín et de Gallo. Récemment, en août 2008, Olivier Verger avec la participation du guitariste Oscar Guzmán, a réalisé un film documentaire où l’écrivain commente l’art de toréer des grands maîtres (Domingo Ortega, Manolete, Luis Miguel, Antonio Ordóñez), évoquant aussi quelques souvenirs de ses années en Andalousie.

Elle évoque ainsi cette mémorable décennie : à cette époque nous rencontrions à Carboneras beaucoup de célébrités : les peintres Hartung (surréaliste), Jesús Soto, Antonio Assis, Julio Le Parc (cinétique) ; des architectes comme Olivier Clément Cacoub, André Bloc ; du monde du cinéma : Orson Welles, Omar Shariff, Peter O’Toole, [David Lynch, Eddie Fowlie, Paloma Picasso], le sculpteur Berrocal, de Malaga.

Mais outre les prestigieux artistes étrangers, tout un groupe de personnalités locales se réuniront autour d’elle, grâce au bon accueil que lui fit dès son arrivée au village le secrétaire de Mairie Antonio Fernández, homme entreprenant et cultivé qui sut tirer bénéfice de leur amitié. Avec la romancière Lorquino Castillo Navarro, l’architecte O.C.Cacoub, le médecin phoniatre Alfred Tomatis et d’autres partenaires, ils fondèrent la Société des Amis de Carboneras dans le but de promouvoir le tourisme. Rafael Lorente, dans sa chronique romancée, Thalassa, relate cette période fébrile et compliquée qui obséda les autorités, le voisinage et les spéculateurs immobiliers de Murcie, Carthagène ou Barcelone.

Tous ces projets se traduisirent en magnifiques rapports (plans, études, promotion de la culture, respect du milieu ambiant) et travaux architecturaux qui peineront à se réaliser. Quelques importantes constructions isolées témoignent de cette époque où l’on rêvait d’un tourisme de qualité (El Laberinto, El Rancho, entre autres). Ils envisagèrent même de changer le nom de la municipalité, Carboneras, qui ne leur paraissait pas très commercial, pour celui de Villa del Mar. Ce fut un échec, comme d’autres projets qui naquirent de cet enthousiasme de concevoir un refuge idyllique.

Citons un souvenir de ces années-là rapporté sur le site internet de l’auteure : « Je vivais en Andalousie dans un petit village de pêcheurs, quand un matin ma secrétaire me réveille : Venez voir là-bas ! Une armée de soldats d’infanterie s’était déployée le long de la route entre les cactus et le sable. Un appel téléphonique m’informe que ma présence est requise à la Mairie. Un élégant officier de la Guardia Civil se dirige vers moi pour me soumettre à un interrogatoire. C’était le colonel Altares, l’oncle de Carlos Saura, le cinéaste, et Antonio Saura, son frère, le peintre, et par la suite, mes amis. »

Les débats suscités par la publication de ses études cabalistiques et sur le chevalier de la Mancha lui apportèrent à cette époque une notoriété et une renommée, qui lui valurent d’être invitée dans diverses universités, comme celle de Grenade (prof. Gonzalo Maese) pour faire connaître ses recherches sur Don Quichotte, kabbaliste.

Au même moment, des personnalités importantes du judaïsme lui rendent visite à Carboneras, les rabbins Albert Hazan, Josy Eisenberg ; des écrivains comme André Chouraqui (1917-2007) intéressé par la collaboration de Dominique Aubier dans l’entreprise d’une traduction de la Bible ; Pierre Dumayet (1923) ; Jacques Scherer, Josane Duranteau, Sarah Lebovici, Emile Sebban, Jo Kanoui, André et Michelle Cohen, Miguel Sierra, Manuel Massot, l’ambassadeur Ulrich, Anita Salomón, Raoul Guys ou Lady Norton ; des journalistes : Véronique Skawinska (qui écrivit un livre au sujet de sa rencontre avec Carlos Castaneda), Jean Chalon ou Gilbert Bovay déjà cité ; des critiques d’art comme Jean Clay; Les peintres Demarco, Hartung et le prof. Tomatis, avec son invention de l’oreille électronique de traduction simultanée, le sculpteur Edgar Pillet. Fruits de ces échanges, colloques et séminaires se succédèrent auxquels assistèrent nombre d’éminentes personnalités pour débattre de la Kabbale, du Zohar, de la tradition Sépharade et de la pensée de Cervantès. Dominique Aubier situe l’œuvre de ce dernier, Don Quichotte, comme recours civilisateur de haute métaphysique au service de l’humanité.

Avec l’essor industriel de la municipalité, au début des années 1980, elle s’éloigne progressivement de Carboneras. Dans l’intervalle, elle s’arrête quelques années dans un village de Cuenca, puis elle franchit les Pyrénées en 1992 pour s’établir en France, à Damville (à l’ouest de la capitale, en Normandie). Installée dans son nouveau poste de guet, avec la vision sereine de qui a fréquemment pu observer la mer paisible et amène d’un simple port de pêche, nous pouvons paraphraser Marie Thérèse de Brosses dans un article dédié à Dominique (Revue Intemporelle, 7, 1995) : « Notre brave dame – soixante-douze ans vécus sans peur et sans compromission – tient sa mise braquée sur un seul objectif : le message du salut ».

Quant à son extensive production littéraire, nous pouvons reprendre la classification qu’elle-même propose :
a) Œuvres de jeunesse (1946-1961), rassemblant des essais, d’intéressants contes, albums photographiques, etc. Sa première œuvre date de 1946, Contes de Verte Foi, édités par Le Bateau Ivre. À partir de 1952, elle est éditée chez Seuil, avec Le Maître-jour. Le livre Espagne date de 1956, édité la même année en espagnol à Buenos Aires, de même que Fiesta en Sevilla (Edition à Londres et à Rome). Elle écrit Il segretto de Pulcinella (sous le pseudonyme Andrea Mascara), rédigé lors de son séjour à Rome et de sa collaboration avec le cinéaste Roberto Rosselini en 1961, et qui traite du déchiffrement du code occulte de la Commedia dell’Arte. Elle rédige aussi un essai sur la peinture de Hans Hrtung et un livre sur l’artiste Anna-Eva Bergman en 1964.
b) Œuvres d’enseigner (1964-1980). Nous citerons seulement Don Quichotte prophète d’Israël, aux éditions Robert Laffont en 1966 (trad. Don Quijote profeta y cabalista, éditions Obelisco, Barcelone 1972) ainsi que Deux secrets pour une Espagne, (éd. Arthaud, 1964 ; éd. Qorban, 1972).

Il ressort à première vue une classification incomplète. Il est vrai qu’entre les œuvres de création et les œuvres d’enseignement on voit se dérouler ses centres d’intérêt, mais elle ne mentionne pas ses nombreux articles sur le cinéma, publiés dans les cahiers du cinéma pendant les années 60, dans lesquels elle commente le cinéma italien de Rossellini, Fellini ; son intérêt pour les documentaires sur la tauromachie et son double intérêt pour l’image : d’une part la photographie illustrée et d’autre part le cinéma.

À l’occasion du 4è centenaire de l’édition de Don Quichotte, Dominique Aubier publie plusieurs livre d’éxégèse sur le thème. Ses dernières publications paraissent sous le sceau éditorial de M.L.L. (Marie-Louise Labiste).

II. Son apport culturel et intellectuel à Mojácar et Carboneras.

Nous ignorons qui est à l’origine de cette idée, mais il est certain qu’un bon nombre d’intellectuels et artistes espagnols et parisiens sont attirés par ce littoral et les premières visites remontent à 1956. Dans le cas de « madame Domini » il n’y a aucun doute sur sa présence à Carboneras dès 1961. On dit qu’elle aurait parrainé la première taverne andalouse de Mojácar (El pimiento) ; on a dit qu’elle était venue comme ambassadrice des Rotschild (famille juive fortunée d’Amérique du Nord), pour chercher un lieu d’investissement pour un tourisme d’élite ou pour construire une enclave stratégique sur un itinéraire imaginaire du Zohar. C’est un fait qu’elle exerce le métier d’agent immobilier avant la lettre, achetant et/ou louant aux prix de l’époque (dérisoires par rapport à ceux d’aujourd’hui, compte tenu du prix extravagant que le terrain a acquis sur la côte) fermes et maisons pour son cercle d’amis artistes, théosophes, journalistes, écrivains, médecins, etc. Sur une parcelle, elle se construira une maison, imitant l’architecture almohade et dont elle conçoit et dessine les plans.
À partir de ce moment là, elle devient « la Dame de Carboneras », Le visage dégagé et couronné d’un parfait chignon serré, qui laisse imaginer une longue chevelure noire reposant sur la peau bronzée de ses épaules elle était surnommée au village « l’Indienne », car vêtue d’un sari (vêtement traditionnel hindou, élégant et sophistiqué, dont le port nécessite tout un apprentissage. Elle en adopta la tenue en fréquentant l’épouse hindoue de Rossellini, (Sonali Dasgupta) lors de ses visites à Rome. Elle en vint à proposer au cordonnier local, Sr. Caparrós, la fabrication d’un modèle indien de sandales liées aux pouces,… et toujours vendues de nos jours dans la localité. Juan Goytisolo rappelle l’anecdote de l’une de ses visites rendue à Dominique à Paris, quand elle lui ouvrit la porte, un bonnet de torrero à la main. Elle lui dit qu’elle le portait pour son inspiration quand elle écrivait sur des thèmes espagnols.

Nous pouvons considérer qu’avec l’influence de Dominique Aubier, Carboneras vécut son âge d’or et accéda à la modernité, « boom » favorisé par la florissante industrie cinématographique au moment de la fin du tournage de Lawrence d’Arabie.

Pour tracer ces modestes coups de pinceaux biographiques, il nous a fallu nous armer de patience, car elle efface elle-même ses traces et la légende se réapproprie le personnage. Parmi les documents littéraires de référence, nous avons consulté le texte cité de Rafael Lorente et les souvenirs de Juan Goytisolo rapportés dans diverses œuvres autobiographiques dont En los reinos de Taifas y Sellas de identidad.

Réservons pour une autre occasion les rumeurs autour de l’ouverture de la taverne andalouse El Pimiento à Mojácar, les projets urbains inachevés de Carboneras, le séjour dans un village abandonné de Cuenca, les fantasmes suscités par sa forte personnalité féminine, sa beauté attractive, etc.

Durant les années 60, Marie-Louise était déjà un écrivain accompli qui signait Dominique Aubier et le village la nommait « Madame Domini ». Ou « La Señora ». À Paris, elle était « La Dame de Carboneras ». Ses études sur Don Quichotte et la Kabbale datent de cette période, en plus d’autres projets littéraires et cinématographiques. Il n’est pas superflu de rappeler que certaines de ses œuvres éditées ou rééditées furent publiées par la maison d’édition Le Qorban, avec comme lieu d’édition Carboneras. D. Blumenstihl-Roth rapporte un autre regard sur ces années : « L’Agence France Presse de Londres souligne, sans exagération, que sa maison andalouse était le meilleur restaurant au Sud de la Loire ».

Ce fut peut-être l’échec de la conversion de Carboneras en Villa del Mar, flanquée d’un complexe industriel sur les lieux les plus beaux du littoral, qui amena « La Domini » à quitter tant d’années d’amour vouées à cette côte pour un village abandonné de Cuenca, où elle s’installe avec un groupe d’amis artistes, partageant ses intérêts pour la spiritualité profonde, disons, mystico-religieuse. À l’image de sa tenue vestimentaire : un sari hindou. Un vêtement élégant, inspirant modestie et retenue, après plusieurs dizaines de mètres de tissu soigneusement doublé et redoublé autour d’un corps sculptural, et s’adaptant à toutes les situations sociales. Elle a en outre étudié Bodhidharma, patriarche du bouddhisme, dont elle estime que les enseignements pourraient amener l’Inde et la Chine sur la voie de la conciliation. Pour ajouter à l’exotisme, son arrivée coïncida avec le tournage des scènes de la conquête de la ville d’Aqaba, précisément sur la plage d’Algarrobico. Après le tournage, elle fit l’acquisition… de chameaux sur lesquels elle promenait son élégante et svelte silhouette projetée sur fond de paysage idyllique, oasis primitif baigné d’eaux bleues. Toute cette modernité se trouvait renforcée par l’enseignement de la langue française qu’elle prodiguait à ses secrétaires (Teresa, Genoneva) et aux étudiants les plus prometteurs de la localité. Sa personnalité de femme indépendante, responsable, assumant le chagrin d’une séparation, servira d’exemple à bien des femmes de Carboneras qui la connurent, comme symbole de progrès et d’indépendance, malgré les inévitables légendes que devait susciter une telle figure, comme signe de dissolution d’une société fermée et isolée en voie de changement, avec le Ministre Fraga et les accords du Concile du Vatican II, à la vitesse des années soixante.

Cette image de femme divorcée, écrivain, et séduisante, a pu contribuer à l’émancipation des femmes de Carboneras, qui, en fin de compte, trouvèrent en Dominique un exemple unique de femme libre et cosmopolite.
Je peux assurer à qui se donnera la peine de consulter la page web de l’auteure, qu’il découvrira l’amour et la passion qui attache cette écrivain au village où elle a pu développer ses études et son œuvre, Carboneras et la Méditerranée.

Ces dernières années, après avoir abandonné l’Espagne et s’être installée en Normandie, elle a poursuivi une œuvre littéraire plus féconde, publiant des essais d’interprétation herméneutique, signalant et commentant les bévues de la société, proposant des alternatives, dont les tenants et aboutissants sont à rechercher dans notre cerveau (La Face cachée du Cerveau). Elle y explore l’héritage symbolique inscrit dans les livres sacrés et dont nous sommes sommés de dévoiler le code. Dominique Aubier a dédié toute sa vie à ce travail, à cette mission, et son œuvre représente un bon exemple de la passion pour un lieu, Carboneras ; un pays, l’Espagne et un sens : la vérité révélée.

AXARQUIA, n°14 Verano 2009
Section des Biographies.
Par l’écrivain Miguel Galindo Artès

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